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vendredi 27 avril 2007

Handsome Furs


Il y a-t-il un groupe en ce moment qui concentre autant de talent et de bouillonnement créatif que Wolf Parade? Depuis la sortie en 2006 de leur fantastique premier album "Apologies to the Queen Mary" tous les membres du groupe ont été actifs dans un nombre incalculable de projets parallèles. Spencer Krug a sorti un album avec Sunset Rubdown, participé aux albums de Frog Eyes et au projet Swan Lake, la collaboration avec Dan Bejar et Carey Mercer. Dante DeCaro, anciennement de Hot Hot Heat, a sorti un très bon album sous le sobriquet "Johnny and the moon", sans oublier la collaboration un petit peu plus anecdotique pour l'instant mais assez excitante avec Nick Diamond et Jamie Thompson de Islands/Unicorns ainsi que Syd Butler de Les Savy Fav, tout ça sous le nom ridicule "Final Fantasy: Online a.k.a. Internet" (la légende veut que le nom soit issu d'une private joke avec Owen Palett de Final Fantasy). C'est maintenant au tour de Dan Boeckner, un des deux chanteurs et guitariste du groupe, de nous éblouir avec son projet Handsome Furs qui sortira son premier album "Plague Park" le 22 mai sur Sub Pop. En plus de tout cela, il paraîtrait qu'ils se sont tous réunis pour préparer le nouvel album de Wolf Parade. Il y a de quoi donner des allergies à tous ceux qui parviennent péniblement à sortir dix chansons tous les trois ans...

Handsome Furs est un projet initié en 2006 par Dan Boeckner et sa fiancée Alexei Perry (décidément ce concept est à la mode puisque Avey Tare de Animal Collective et sa compagne Kria Brekkan de Múm ont fait de même). Tous ceux qui sont familiers avec Wolf Parade ne se retrouveront pas en territoire inconnu. On retrouve chez Handsome Furs les ingrédients principaux du groupe, sauf un, le petit grain de folie de Spencer Krug. Même si leur musique n'est pas comparable, l'effet obtenu n'est pas sans rappeler l'album de Thom Yorke amputé du reste de Radiohead. Un album plus posé, et probablement plus personnel, que j'imagine bien être la bande son des pensées de Boeckner lors d'un retour en voiture au petit matin après un concert éprouvant avec son projet principal. Une ambiance nocturne et rêveuse plane sur l'intégralité du disque, en partie due à l'utilisation sur la plupart des titres d'une boite à rythme en lieu et place de la batterie frénétique à laquelle il nous avait habitués. La voix de Boeckner, légèrement cassée et usée comme un lendemain de veille, est toujours aussi immédiate et son phrasé, un rien plaintif et machant doucement ses mots séduit.

"Plague Park" est un album très fort qui sera plus que certainement dans les meilleurs de l'année pour moi... et qui nous permettra de patienter avant le prochain Wolf Parade. Deux chansons pour le découvrir : "What We Had", plage d'ouverture poignante de l'album, et "Cannot get started" qui illustre bien l'aspect plus dépouillé de leur musique. Si vous avez encore quelques minutes à leur consacrer, regardez la vidéo de "Dumb Animal". C'est non seulement la plus belle chanson de l'album, une des chansons de l'année probablement, mais également une des meilleures vidéos de ces dernières années. Intrigante, noire, presque dérangeante par moments et une photographie superbe.


Handsome furs - What we had



Handsome Furs - Cannot Get Started


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mardi 24 avril 2007

Xiu Xiu : Knife Play

Commence aujourd’hui le premier billet d’une longue série retraçant pas à pas la discographie de Xiu Xiu. Rassurez-vous, tout ne viendra pas en une fois et il y aura toujours des billets consacrés à d’autres groupes mais dans les prochaines semaines, au rythme maximum d’un billet par semaine, nous parcourrons ensemble toute leur œuvre.

J’ai longtemps hésité sur la manière de procéder, Xiu Xiu n’étant pas le groupe le plus facilement abordable. Ce sera finalement chronologiquement que je présenterai tous les albums, EP, singles et collaborations en commençant par leur premier album, « Knife Play ». Avant de se rebaptiser Xiu Xiu, Jamie Stewart (le pivot central du groupe, Mr Xiu Xiu pour certains) avait déjà eu deux groupes, « The Indestructible Beat of Palo Alto » et « Ten in the swear Jar » sur lesquels je reviendrai à la fin de la série.

Avant d’entrer dans le vif du sujet (« Knife Play ») brossons rapidement un petit portrait du groupe. Xiu Xiu (qui se prononce « Chiou Chiou ») est principalement le projet musical d’un seul homme, Jamie Stewart. Le nom est tiré d’un film chinois, « Xiu Xiu : The sent down girl ». Originaire de Californie et né dans une famille musicale (son père a produit des albums de Tom Jones et Billy Joel entre autres), il commença sa carrière dans un groupe de reprises R&B. Rien ne laissait donc présager le virage musical bruitiste qu’il allait prendre. Ce n’est qu’en 2000 que le groupe se forma réellement, accompagné de Cory McColloch qui produit tous les albums de Xiu Xiu jusque « La Forêt » mais abandonna les tournées et quitta le groupe avant la sortie de leur deuxième album « A Promise ». Participaient également au line-up original Yvonne Chen qui le quitta pour se consacrer à sa boutique végétalienne et Lauren Andrews qui resta dans le groupe jusque 2004.

Knife Play

En 2002, Xiu Xiu sort donc son premier album « Knife Play ». C’est probablement l’album le plus sombre du groupe mais également un des plus riches dans ses sonorités et textures. J’ai longtemps hésité à procéder chronologiquement pour cette rubrique car c’est le dernier album de Xiu Xiu que je recommanderais lors d’une première approche du groupe. Les thèmes abordés sont extrêmement noirs, le mal-être, la mort, la maladie, la dépression, l’aliénation, le suicide pour ne citer que les principaux. Vous l’avez compris, Xiu Xiu ne fait pas dans la légèreté. L’album s’ouvre sur le titre « Don Diasco », par ce qui ressemble à des bruits de couverts tapant contre de la vaisselle, puis une grosse caisse sourde bat le rythme, une nappe de synthé s’active, et soudain une voix déchirante, fluette et haut perchée retentit « Can god hear me ? ». Bienvenue dans le monde de Xiu Xiu.

“I broke up” le deuxième titre est naturellement une histoire de dépression et de petages de plombs sur fond de boite à rythme répétitif et de distorsions oppressantes. Une atmosphère qui se marie à merveille avec les divagations de Jamie Stewart qui s’exclame « Breaking into children’s hospitals crying out : don’t fuck with me, don’t fuck with me ! » avant de se réincarner dans ce qui pourrait être un mari qui n’en peut plus ou un adolescent qui vomit sa famille lors d’un long voyage en voiture à travers le midwest américain : « this is the worst vacation ever, I am going to cut open your forehead with a roofing shingle »

« Hives hives”, est un présage des albums qui vont suivre et de la sensibilité pop cachée au fond de Jamie Stewart (très profondément parfois). Il parvient à transformer des paroles sordides en une sorte d’hymne mélancolique défaitiste sur le sida : « A*I*D*S*H*I*V, I can not wait to die, can you tell, can you tell? ». « Dr troll » qui suit ce titre parait presque apaisante après l’intensité de « Hives Hives », et pourrait être une simple ballade si elle n’était pas entrecoupée de distorsions.

Viennent ensuite trois titres avec l’amour en thème principal, mais dans le monde de Xiu Xiu l’amour ne rend jamais heureux. Première chanson de ce tryptique, « Anne Dong » nous relate l’histoire d’un amour réprimé (« You’re not coming to my Birthday, I know ») sur fond de goûtes tombant au fond d’un tonneau ou bien quelqu’un qui tape une pierre contre un tuyau. « Suha » se fait immédiatement l’antithèse de cette histoire avec un amour vécu trop tôt, une femme qui se retrouve piégée dans un mariage avec des enfants (« i hate my husband, i hate my children, I am going to hang myself, when will i be going home »), tout cela dans l’ambiance glaciale d’une guitare sèche et d’une boîte à rythme. « Poe Poe », seule chanson de l'album qui eut droit à un clip, termine ce trio avec un début tout en douceur, avec des cloches, qui laisseront place à un rythme presque techno étouffé, des envolées de guitare électrique et un son de maracas métallique. Pendant ce temps là Jamie Stewart nous conte l’histoire d’une adolescente pourrie gâtée qui se tape un vieux de 50 ans pour l’argent.

Ce n’est que pour clore leur album que Xiu Xiu laisse un petit peu de place à l’espoir et au bonheur, sur le très beau « Tonite & today » dans lequel il console tout en douceur et retenue une amie blessée. Peut-être tente-t-il également de consoler l’auditeur émotionnellement éprouvé par les dix premier titres de son album. Tonight and today the smallest kiss in the world, I won’t forget it…



Xiu Xiu - Poe Poe




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Quelques vidéos pour ceux qui veulent aller plus loin...

Le clip de "Poe Poe"


"Hives Hives", live



"I Broke up", Live à Chicago en 2003



"Poe Poe", Live à Mexico en 2003



"Tonight and today", live, pour terminer en douceur



lundi 16 avril 2007

Frog Eyes


Frog eyes nous revient dans deux semaines avec un 4e album, "Tears of the Valedictorian". Voici l'occasion idéale de revisiter leur discographie passionnante. Pour ceux qui les découvrent, Frog eyes est un quatuor canadien, de Victoria pour être précis. Ils nous ont déjà gratifiés de trois albums (The Bloody Hand, The Golden River, The Folded Palm), qui forment selon Carey Mercer, le chanteur/auteur/compositeur du groupe, une trilogie. En plus de ces trois opus principaux ils ont sorti "Ego Scriptor" dans lequel ils reprenaient des chansons de leurs trois albums dans des versions acoustiques. Ils ont également enregistré un EP l'an passé afin de faire patienter les fans les plus avides avant le nouvel album (la pochette était d’ailleurs d’un goût certain). Frog eyes est souvent assimilé à la scène folk/rock déjantée canadienne, avec laquelle ils partent régulièrement en tournée (des affiches qui font d'ailleurs rêver la groupie que je suis mais qu'on ne verra probablement pas de si tôt en Europe). Ils sont d'ailleurs amis avec Dan Bejar (Destroyer/New Pornographers) avec lequel ils ont collaboré pour l’EP "Notorious Lightning and other Works" et avec Spencer Krug de Wolf Parade. Ces trois jeunes gens se sont récemment réunis pour former le groupe Swan Lake et sortir l'excellent "Beast Moans" sur lequel on reviendra dans un billet futur

Même si les membres de Frog Eyes sont amis et collaborent avec d'autres musiciens issus de la scène canadienne ils n'en ont pas pour le moins une personnalité très forte et un son unique. Pour essayer d'approcher une description de la musique de ce groupe il faut imaginer un croisement entre les moments de pure folie de Tom Waits/Captain Beefheart, les mélodies de David Bowie et l'intensité lyrique et émotionnelle d'un David Eugene Edwards (que ce soit sous la forme de 16 Horsepower ou Woven Hand). Tous ces éléments mis ensemble ne donnent pourtant encore qu'une partie de Frog Eyes. Ce qui rend ce groupe véritablement unique c'est le chant de Carey Mercer qui virevolte des graves aux aigus, des cris aux chuchotements, des mélodies pures à l'anarchie la plus totale. J'imagine que chaque concert doit être une véritable performance physique dans ces conditions là. Bien que le chant soit toujours bien en avant dans leur musique (et comment faire autrement avec une voix et un style pareil) les musiciens ne déméritent pas du tout, même si cela s'avère parfois difficile de suivre toutes les inspirations de Carey Mercer.

Emotionnellement intense la musique de Frog eyes l'est. Il est difficile de sortir indemne d'une écoute attentive d'un de leurs disques. Enchainer plus d'un disque peut être une expérience traumatisante. Absolutely Kosher l'a peut-être compris car dans les deux rééditions qu'ils ont sortis l'an passée, ils ont ménagé une silence de une minute entre le disque original et les bonus ajoutés, de quoi laisser le temps de souffler un peu (enfin, peut-on vraiment parler de bonus quand ils ajoutent sur le même CD la totalité d'un des albums de Blue Pine, l'ancien groupe de Carey Mercer). Certaines chansons sont assez terrifiantes et il y a vraiment de quoi se poser des questions sur la santé mentale de leur auteur. Prenons par exemple la plage d'ouverture de The Golden River, "One in six children will flee in ships" (le titre fait déjà un peu froid dans le dos). Il y est question de personnages d'heroic fantasy, de lapins, et puis la chanson s'adoucit et nous sommes comme projetés dans la tête d'un capitaine corsaire qui devient fou avec les craquements de son bateau. Le lien? Je crois qu'il n'y a qu'une seule personne qui pourrait l'expliquer mais je doute qu'il en ait envie.

"Silver gnomes all in my dome and cameras can finally roam By themselves, they've got hearts to moan And friends of mine have got friends with coke Oh, rabbit, rabbit, you've this habit of breaking legs and nouveau carat And my heart has passed its final rite and it's breaking legs for dollars These blue boards keep on creaking in my head These blue boards, creaking on my ship"

Ou encore sur "Silence but for the gentle flowing creek", issu de The Bloody Hand, dans laquelle il répète inlassablement "Put you Rock 'n Roll hand in the god damn burning sand" avant de se lancer dans une reprise du magicien d'Oz à coup de "Ding! Dong! The witch is dead!" , entrecoupés de longs cris gémissants. Amis de la santé mentale bonsoir, ici vous ne trouverez que de la schizophrénie et des névroses. Je suis d'ailleurs persuadé que si les bourreaux de Guantanamo avaient connu Frog Eyes, ils n'auraient jamais choisi d'infliger Metallica aux Talibans capturés (ce qui en plus d'être cruel était une véritable faute de goût ;-) )

Pour se forger une idée de ce que Frog Eyes peut faire je vous propose de découvrir chronologiquement la plage d'ouverture de chacun de leurs albums. Frog eyes a en effet pour habitude de larguer tout de suite une bombe pour démarrer ses disques. Finalement, vous trouverez en avant-première "Bushels", premier extrait de "Tears of the Valedictorian" paru sur internet il y a quelques semaines. Frog Eyes s'y écarte de la concision à laquelle ils nous avaient habitués (un album ne dépasse pas 35 minutes) pour se lancer dans une chanson épique de plus de huit minutes. Je sens que notre santé mentale va encore en prendre un coup...





Frog Eyes - Sound Travels From the Snow to the Dark (2002)





Frog Eyes - One in Six Children will Flee on Ships (2003)





Frog Eyes - The fence Feels its Post (2004)





Frog Eyes - Bushels (2007)


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mardi 10 avril 2007

The Little Ones & SDOLE


Virage à 180°. Après un précédent billet plutôt long et sérieux sur les liens entre la politique et la musique aux Etats-Unis, retrouvons un petit peu de lègèreté avec The Little Ones. Ce groupe originaire de Californie nous a gratifié d'un premier EP, "Sing Song" il y a quelques mois, qui convient parfaitement aux journées ensoleillées de ces derniers jours. De l'indy pop sans prétention qui devrait plaire aux amateurs de Belle and Sebastian ou encore Los Campesinos (dont je vous avait déjà parlé ici), le tout dans un style plus psychédélique (quoi de plus normal pour des californiens). "Oh MJ!" que je vous propose ici peut sembler terne et un rien banal à la première écoute et puis elle s'ancre dans notre cerveau et on se surprend à la siffloter en pleine journée... Je ne pense pas que ce groupe fera forcément de grandes choses à l'avenir mais j'ai toujours un peu de place sur mon étagère et dans ma playlist pour ce genre petits plaisirs...

"Slide into the middle, don't wait for an answer
a maze of discolights, we never knew you were a dancer!"

The Little Ones - Oh, MJ!



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Deuxième coup de projecteur du jour pour The Strange Death of Liberal England, un quintet qui contrairement aux Little Ones risque de faire beaucoup parler de lui dans les prochains mois/années. Ils sortiront la semaine prochaine leur premier single, "A Day, Another Day". Imaginez Silver Mt Zion qui reprendrait Arcade Fire et vous aurez une petite idée de ce à quoi peut ressembler leur musique. Un mélange de post-rock dans lequel on ne rechigne pas devant un long instrumental (voir un morceau purement instrumental) et des longues montées en puissance parsemées de moments de frénésie avec tout le groupe qui chante/crie en coeur comme peuvent le faire les canadiens d'Arcade Fire. Petit bémol, la voix du chanteur principal lorsqu'il chante seul qui est un rien irritante... Un premier single qui ne parviens donc pas à convaincre totalement mais qui laisse présager de grandes choses pour l'avenir. En attendant un album...

Pas de mp3 pour une fois, juste le clip de "A day, another day"



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vendredi 6 avril 2007

Musique et politique : la protest song américaine


La chanson protestataire n'est pas née aux Etats-Unis, loin de là. C'est un art qui existe depuis que l’homme a imaginé qu’il serait possible de mettre en musique autre chose que des textes religieux mais ce genre s’est toujours heurté à la liberté d’expression. Au Moyen-Âge par exemple, des troubadours amusaient les foules avec des chansonnettes tournant un seigneur local en dérision. Les notions protestataires avaient beau être calfeutrées sous un voile d’humour il est pourtant certain que si les textes les plus incisifs nous étaient parvenus nous pourrions y retrouver quelques critiques sociales intéressantes. Ce billet se concentrera pourtant sur les "protest songs" made in the USA car le pouvoir et l'influence des Etats-Unis étant ce qu'ils sont, ce sont souvent les textes les plus influents. Des prochains billets dans les semaines qui viennent se concentreront sur la chanson protestataire francophone et anglaise. Retraçons donc rapidement un historique de la protest song américaine avant de présenter ceux qui ont récemment exprimé joliment une opinion politique en musique.

Nous pouvons identifier dans la musique contemporaine américaine deux grandes périodes au contexte social tendu durant lesquelles s’est véritablement développé le genre. La première période correspond grossièrement au début du 19e siècle aux Etats-Unis avec l’intensification de l’esclavage. Afin de s’exprimer sans subir les châtiments corporels de leurs maîtres les esclaves noirs américains avaient inventés tout un jargon de métaphores qu’ils chantaient en travaillant. C’est l’ « Underground Railroad », les chansons circulant de plantation en plantation sans que les propriétaires terriens ne puissent comprendre ce qu’elles signifient réellement. L’impact de ces chansons sur la musique contemporaine et sur l’héritage culturel américain fut considérable et beaucoup nous sont parvenues, la plus connue étant le fameux « Swing Low Sweet Chariot » dans laquelle le terme « chariot » désignait l’évasion.

Paul Robeson - Swing Low Sweet Chariot


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La deuxième période de gloire de la chanson protestataire américaine est sans aucun doute les années 60 et toute la mouvance pacifiste dont Bob Dylan fut bien malgré lui le porte drapeau. Bien malgré lui car Dylan n’a de ses propres aveux jamais été intéressé par la politique. Dans ses textes il se contentait souvent de décrire des situations et de mettre en musique ce qu’il en pensait. Un art qu’il avait appris en étudiant scrupuleusement l’œuvre et les méthodes de Woodie Guthrie, un chanteur folk américain engagé qui enregistra la majorité de son œuvre dans les années 40 et 50. La plupart des chansons de Dylan de ces années là étaient d’ailleurs extrapolées de coupures de presses. A posteriori, Dylan était donc à cette époque plus un artiste doté d’une conscience politique et d’un sens de la justice qu’un activiste politique. En reparcourant ses textes vous n’y retrouverez d’ailleurs jamais d’attaques frontales ou de noms. Le plus proche que Dylan soit allé de la « Protest Song » véritablement engagée est « Masters of War », qui reste pour moi son chef d’œuvre absolu. Bien qu’il y décrive à qui s’adresse sa chanson (You that build all the guns, You that build the death planes, You that build the big bombs, You that hide behind walls, You that hide behind desks) c’est toute l’industrie et la politique de la guerre qu’il attaque. C’est une chanson pacifiste mais elle n’est politique que par son contexte, écrite dans un pays menant une guerre. Toujours est-il que cette chanson n’a jamais été surpassée en terme d’écriture bileuse contre ceux qui dirigent et participent aux efforts de guerre :

”And I hope that you die
And your death'll come soon
I will follow your casket
In the pale afternoon
And I'll watch while you're lowered
Down to your deathbed
And I'll stand o'er your grave
'Til I'm sure that you're dead”

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Bob Dylan - Masters of War


Bob Dylan fut élevé (et piégé ?) en tant qu’instigateur d’un mouvement protestataire qu’il n’avait nullement l’intention de mener par les medias qui découvraient alors une nouvelle forme de musique, bien loin de la naïveté et des futilités du twist et autres crooners amoureux véhiculés par les chaines nationales. Le début des années 70 annonça la fin des illusions des protestataires des années précédentes et ce ne fut qu’à l’arrivée des punk que de véritables chansons engagées réapparurent. Les punks avaient toutefois changer la manière, préférant l’attaque frontale et la critique du système et de la société dans son ensemble. Les Sex Pistols et les Clash furent les têtes de proues des mouvements en Angleterre mais l'engouement ne fut jamais le même aux Etats-Unis. Même si la langue facilita l'exportation de cette vague, les textes des groupes étant profondément ancrés dans la réalité sociale britanique ils ne résonnèrent pas de la même manière dans la population américaine.


Dans les années 80 et 90, les protestataires folk/rock se firent plus discrets. Cela fut autant le fruit d'une moindre médiatisation des éléments qui dérangent que d'une radicalisation de leur musique. Des groupes comme Black Flag et Rage Against the Machine on continué a porter haut leurs convictions politiques et leur volonté de changement. Durant ces décénies, ce sera surtout dans le mouvement hip hop que la protestation se développera, même si elle s'oriente principalement contre les discriminations raciales de la société (impossible d'être plus direct que le "Fuck the Police" de NWA). En 1984 pourtant, Bruce Springsteen fit un énorme carton avec son "Born in the USA". Souvent méprise pour une chanson patriotique, fière de son pays à cause de son refrain tout à fait ironique, "Born in the USA" est en réalité une critique sociale très dure de l'amérique profonde comme les Clash ont pu le faire en Angleterre.

" Born down in a dead man's town
The first kick I took was when I hit the ground
You end up like a dog that's been beat too much
Till you spend half your life just covering up"

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Avec l’arrivée de Bush au pouvoir et sa politique post-11/09 on vit grandir une nouvelle vague d’opposants folk/rock, composés de vieux de la veille et de petits nouveaux. On assista à de grandes manifestations d’artistes engagés (plus ou moins crédibles) dans le mouvement « Vote for change » lors des dernières élections américaines. La chanson protestataire est donc loin d’être enterrée, même en dehors des milieux « underground » ou purement punk. La preuve avec quatre morceaux récents d’artistes quasiment « grand public »




Commençons par Conor Oberst, alias Bright Eyes. Son succès est principalement basé sur un mélange de folk et d’americana traitant plus de ses émotions et aventures sentimentales que de politique. Pourtant, il a écrit la "Protest Song" la plus virulante et directe de ses dernières années, un uppercut dans la mâchoire de Georges Bush. Critiquant la guerre, l’élection volée, la politique interne, la bêtise et les inspirations divines de son dirigeant, tout ça avec une agressivité dans la voix et un ton qui fait plaisir à entendre.

“When the president talks to God
Does he fake that drawl or merely nod?
Agree which convicts should be killed?
Where prisons should be built and filled?
Which voter fraud must be concealed
When the president talks to God?”

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Bright Eyes - When the President talks to God


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Deuxième chanteur épinglé dans cette série, Tom Waits. On ne présente plus ce monument à la voix inimitable dont la carrière débuta au début des années 70. Il n’a jamais été politisé, restant toujours bien à l’écart des considérations politiques, dans un petit monde bien à lui. Sur son dernier album, le triple "Orphans: Brawlers, Bawlers & Bastards", on retrouve pourtant « Road to Peace », une description, complètement factuelle du conflit israelo palestinien, ne prenant aucun parti, décrivant les atrocités dans les deux camps et terminant sur une considération forte, assez désabusée : « Maybe god himself he needs all of our help along the road to peace ». Son mode descriptif se rapproche plus de ce que faisait Dylan donc

« Israel launched it's latest campaign against Hamas on Tuesday
Two days later Hamas shot back and killed five Israeli soldiers
So thousands dead and wounded on both sides most of them middle eastern civilians
They fill the children full of hate to fight an old man's war and die upon the road to peace”

texte complet


Tom Waits - Road to Peace


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Troisième larrons, les Decemberists. Sur leur troisième album (« Picaresque ») on retrouve « 16 military Wives » traitant de l’absurdité de la guerre en Irak et des veuves des soldats qui reviennent du conflit entre quatre planches de bois. On y trouve également des critiques de l’impérialisme américain (if America says it's so, It's so!”) et de l’inertie des médias, qui sous le joug du pouvoir n’osent pas s’opposer ouvertement (« And the anchorperson on TV goes... La de da de da »)

“Sixteen military wives
Thirty-two softly focused brightly colored eyes
Staring at the natural tan
of thirty-two gently clenching wrinkled little hands
Seventeen company men
Out of which only twelve will make it back again
Sergeant sends a letter to five
Military wives, whose tears drip down through ten little eyes

Cheer them on to their rivals
Cause America can, and America can't say no
And America does, if America says it's so
It's so!”

Texte complet


The Decemberists - 16 Military Wives


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Terminons avec un rescapé des 60s qui n’a rien perdu de sa fougue et de son franc-parler, Neil Young. Je connais très peu son travail en dehors de « Harvest » et « Comes a time », ayant trop vite écarté tous ses enregistrements électrisés suite à une mauvaise expérience. « Let’s Impeach the President » est un véritable cri de guerre, chanté en chœur d’ailleurs, qui se passe de commentaires tellement il est direct…

« Let's impeach the president for lying
And leading our country into war
Abusing all the power that we gave him
And shipping all our money out the door

He¹s the man who hired all the criminals
The White House shadows who hide behind closed doors
And bend the facts to fit with their new stories
Of why we have to send our men to war “

Texte complet


Neil Young - Let's Impeach the President


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Alors, musique et politique, le débat reste ouvert. Je comprends tout à fait que certains artistes ne veuillent pas s’en mêler mais entendre certaines personnes prétendre qu’il faut toujours dissocier les deux et que la politique n’a pas sa place dans la musique m’insupporte. Si vous connaissez d'autres bonnes chansons protestataires récentes, n'hésitez pas à nous les faire partager!




Pour ceux qui ont un petit peu de temps et veulent rigoler un bon coup, voici une conférence de presse de Bob Dylan en 1965. Des journalistes complètement à côté de la plaque lui posent des questions idiotes et il ne se gène pas pour se moquer d'eux sans qu'ils ne s'en rendent compte.
"- How many protest singers are there?
- euuuuhhhhh, 136"
"- Are you a protest singer ?
- No, I only make love songs"
C'est long et la qualité est exécrable mais ça vaut vraiment la peine


Et si vous voulez voir Bob Dylan mettre un journaliste en boite comme personne d'autre...

mercredi 4 avril 2007

Serge Gainsbourg et Jean-Claude Vannier



Si le nom et le personnage de Serge Gainsbourg sont connus par le commun des mortels, il n’en va pas de même pour Jean-Claude Vannier. Pourtant, ce dernier a collaboré, et le mot est faible, au chef d’œuvre de Gainsbourg : « L’histoire de Melody Nelson ». Cet album, considéré par beaucoup comme étant un des albums majeurs de la chanson française a inspiré et inspire toujours une quantité impressionnante d’artistes de la scène internationale comme Beck, Air, Portishead, ou encore Tricky pour rester dans la mouvance trip-hop. Échec commercial retentissant à sa sortie, disque culte vingt ans plus tard, « L’histoire de Melody Nelson » conforte un peu plus aux yeux du public l’image d’artiste maudit que véhicule toujours Gainsbourg. Si ce dernier est à l’origine des textes précieux et recherchés de l’album, la musique est en très grande partie due à la présence de Jean-Claude Vannier. Ce dernier, jeune compositeur à l’époque (en 1971), est à l’origine de toutes les orchestrations sur lesquelles reposent l’entièreté du travail textuel et musical de Gainsbourg.

Cependant, ce n’est pas sur cet opus que je m’attarderai aujourd’hui. En effet, cette collaboration Gainsbourg-Vannier n’est pas la première. Un an avant la parution de « L’Histoire de Melody Nelson », les deux hommes collaborent pour la première fois sur la bande originale du film « Cannabis » dans lequel Gainsbourg et Birkin tiennent les rôles principaux. Le film, loin d’être extraordinaire, tombera dans l’oubli (mais il est encore disponible en import japonais, petits veinards!) ainsi que sa bande originale. Cette dernière est ressortie il y a peu de temps chez Universal, à la faveur d’une collection regroupant les bandes originales les plus marquantes de l’histoire du cinéma. Absente des diverses compilations sur Gainsbourg publiées au fil du temps (y compris l’intégrale), cette lacune méritait d’être comblée.

L’unique plage chantée de ce disque est la première (assez moyenne) , ce qui fait de cet album un album à grande majorité instrumental, vous l’aurez deviné. C’est donc à partir de la deuxième que commence vraiment le travail du tandem Gainsbourg-Vannier. Gainsbourg, incapable de composer pour un orchestre, partage les manettes avec Vannier durant l’entièreté de l’œuvre. Cette deuxième plage, « Première Blessure » donne le ton pour tout l’album. Orchestrations luxueuses, ligne de basse virevoltante et batterie omniprésente (c’est sur ce même trio que sera basée « L’Histoire de Melody Nelson » un an plus tard). L’album progresse, mystérieux (Jane dans la nuit) et psychédélique (Chanvre indien) avant d’arriver à son cœur pour le grandiose « Avant de mourir », véritable condensé de l’album qui reprend plusieurs des mouvements distincts présents le long du disque, les modifiant discrètement en y ajoutant guitares et synthétiseurs (petit rappel, on est en 1970). Après ce climax, l’album se referme lentement et gracieusement sur les mêmes instrumentations stylées et les arrangements de premier choix. Le dernier morceau reprend le thème du premier morceau chanté.

La boucle est bouclée et l’on reste un peu sur le cul, il faut bien l’avouer. Pourquoi donc me direz-vous ? Car, en plus d’être un prémisse du fabuleux « Histoire de Melody Nelson », cette bande originale reste d’une actualité flagrante. Et il ne faut pas être un as pour remarquer qu’un certain groupe Versaillais s’en est franchement inspiré, notamment pour la B.O. de « Virgin Suicides » de Sofia Coppola, ce qui néanmoins n'enlève rien à la qualité de ce disque.

Vannier, lui, est resté complètement dans l’ombre, n’étant qu’à peine cité sur ce disque ainsi que sur le second du duo, « L’histoire de Melody Nelson ». Il publiera un splendide album en 1972, véritable OVNI, « L’enfant assassin des mouches » sur lequel j’espère revenir bientôt. Il s’illustre aussi en composant pour plusieurs noms de la chanson française, comme Jonasz, Hardy, Nougaro, Barbaba et en travaillant sur des B.O. de quelques films, un des derniers en date étant (accrochez-vous !!) la "Tour Montparnasse infernale".

Son actualité récente est sans conteste la plus intéressante, avec la réinterprétation de "L’histoire de Melody Nelson" en public au Barbican à Londres, avec les musiciens ayant participé au disque à l’origine ,à savoir Dougie Wright, Big Jim Sullivan, Herbie Flowers et Vic Flick, et ayant comme support vocal en talk-over, Jarvis Cocker (de Pulp), Badly Drown Boy, Mick Harvey (des Bad Seeds) et Gruff Rhys (des Super Furry Animals) in french s'il vous plaît.



S. Gainsbourg et J.-C. Vannier - Avant de Mourir





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lundi 2 avril 2007

Menomena


Menomena. Voici un groupe avec un nom fort agréable à prononcer mais dont le nouvel album (leur 3e), "Friend and Foe" me laisse perplexe. Selon mon humeur je peux l'adorer ou bien rester totalement indifférent. La force et la faiblesse de ce trio de musiciens multi-instrumentalistes de Portland, c'est qu'ils ont condensé en 12 plages tout ce qui se fait de mieux dans l'indy rock américain. Si des scientifiques voulaient enfermer dans une capsule temporelle à destination du futur l'état de l'indy made in USA, ils pourraient presque se contenter de cet unique album:

1. "Muscle 'n' Flow" c'est du Modest Mouse avec une pedal steel en plus
2. "The Pelican" sonne comme un croisement TV on the Radio / Wolf Parade
3. "Wet and Rusting" c'est My Morning Jacket mené par Jonathan Donahue de Mercury Rev
4. "Air Aid" avec son saxophone me rappelle un morceau de Morphine un peu plus construit
...
6. "Rotten Hell" aurait pu être sur "Sumday" de Grandaddy en le ralentissant un peu
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8. "My My" c'est une chanson perdue de The Clientele
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Cette constatation nous ramène à l'éternel débat entre l'imitation et l'innovation. Vaut-il mieux essayer d'innover en se plantant ou bien imiter superbement? Les puristes ne jurent que par l'innovation mais une imitation bien réalisée est loin d'être évidente, et peut apporter autant de plaisir que l'originale. Preuve en est le nombre incalculable de groupes basés sur une formation guitare/basse/batterie/voix jouant du pop/rock sans ambition et qui pourtant, pour certains, parviennent toujours à trouver des airs entêtants et exciter les gens comme l'ont fait leurs prédécesseurs.

Mettons ces considérations philosophiques de côté et revenons-en à Menomena. Il serait injuste de les réduire à la somme de leurs influences. Leurs chansons ont beau rappeler certains illustres congénères, elles n'en sont pourtant pas des copies carbonne. Ils parviennent toujours à rajouter ce petit "on ne sait quoi" qui rend leurs compositions originales. Même si elles semblent familières, on ne parvient souvent pas à véritablement mettre le doigt dessus. Quand on pense avoir trouver ce que la chanson nous rappelait, une habile déconstruction/reconstruction vient tout chambouler et l'on se retrouve tout à coup dans un nouveau territoire semblant familier mais pourtant inconnu et pleins de surprises. Tous les titres du groupe sont complexes et les instruments de tous bords, guitares, saxos, glockenspiel s'y confrontent agréablement. La palette sonore explorée est véritablement impressionante à l'image de toutes les influences précitées. Ces trois gars osent même insérer des sifflotement qui feraient palir les Peter,Bjorn & John sur le très justement nommé "Boyscoutin'". Cette chanson pourrait d'ailleurs être insérée dans Blanche Neige et les sept nains ou encore Peter Pan sans heurter les mentalités!

En résumé, Menomena est un groupe extrêmement talentueux et intriguant mais qui demande pour être véritablement apprécié, de mettre tout son bagage musical au vestiaire. Parfois j'y parviens et la récompense est à la hauteur, parfois pas.

Menomena - The Pelican



Menomena - Wet & Rusting


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Et de deux

Les plus fidèles d'entre vous auront remarqué que ce n'est pas votre rédacteur habituel (et bien-aimé) qui a rédigé le billet sur La Maison Tellier. Après avoir piloté tout seul ce petit blog pendant les deux premiers mois de sa genèse, je me suis en effet dit que ce serait intéressant d'inviter un deuxième chroniqueur au goût musical pointu et éclectique mais différent du miens pour compléter l'équipe. C'est donc Mr JF qui partagera dorénavant régulièrement ses coups de coeur et ses coups de gueule avec nous. Nous posterons tous les deux, lorsque cela nous tente, en essayant de garder la même cadence de post que précédemment pour ne pas inonder les gens. Youpie, nous avons un blog!